Juin 2010, le verdict tombe et la sentence est annoncée : le thème de notre collection de fin d’études sera « Une sculpture associée à un sport ».

Habituée aux créations édulcorées présentant des mélanges de nombreux imprimés et d’explosions de couleurs, je voulais pour ma dernière année oser « quelque chose de différent »… De plus « trash ».

C’est donc tout naturellement que j’ai choisi d’allier deux univers visuellement violents : celui du catch hardcore, forme extrême de cette discipline où tout est permis, mêlé à l’univers sombre et cauchemardesque de l’artiste suisse Hans Ruedi Giger, connu pour son style biomécanique* marquant, en travaillant plus particulièrement sur son Alien qui l’a rendu célèbre via le film éponyme de Ridley Scott.

J’ai choisi d’unir ces deux mondes en exploitant le thème du rapport à la douleur, et plus particulièrement de la dualité que l’humain peut ressentir par rapport à cette dernière.

Pour moi, le catch hardcore représente dans un premier temps l’homme à la recherche de douleur. M’étant rendue à Seraing pour interviewer quelques joueurs de l’école belge de catch afin de mieux comprendre leur démarche, l’un d’eux m’a confié que la douleur est ce qu’il recherche, « c’est un peu de ‘donne moi plus de douleur que je ne peux en ressentir’ ». En outre, bien que les coups soient amortis dans le catch, les risques pour la santé sont réels et les joueurs se font vraiment mal !

Dans un second temps, il y a une idée de surpassement de soi : c’est ce que la plupart des interviewés apprécient dans leur discipline, le fait de pouvoir tester leurs limites, flirter avec elles, tenter de se dépasser et d’aller au-delà de ses propres capacités… Un peu à la façon d’un homme qui chercherait à se transformer en bête de guerre.

C’est là que GIGER et son Alien interviennent. Décrit par l’un des protagonistes du film comme une créature parfaite, l’Alien (et même plus globalement les créatures biomécaniques de Giger) représente le fantasme de certains hommes : insensible à la douleur, indestructible, dépourvu des émotions qui nous affaiblissent…  Ici, l’Alien peut être perçu comme le symbole du dépassement de soi que certains recherchent à travers le catch.

Là se trouve le lien entre mes deux thèmes, l’idée de la dualité : l’humain qui cherche à tester ses limites et à se dépasser pour se rapprocher de la créature biomécanique et atteindre la perfection, mais qui apprécie malgré tout la douleur pour se sentir vivant, en quelque sorte masochiste.

Ce que j’ai tenté d’exprimer au travers de mes vêtements est donc cette dualité. Elle se retrouve dans la collection avec des pièces qui arborent, d’une part, un côté inspiré de la « bête de guerre », d’autre part,  un côté inspiré de « l’homme qui recherche la douleur ».

Les vêtements présentent des formes volumineuses, des découpes « en pointe », pour un aspect visuel de violence : la violence d’un être pareil à l’Alien aux allures de bête de guerre, la violence du catcheur qui use des poings et des pieds.

Les matières mêlent des tissus lisses, unis, des jerseys, du coton, du simili cuir, pour le côté « parfait » de la bête de guerre, à des « tissus qui souffrent », troués, abîmés. J’ai torturé certaines matières pour mieux les faire rentrer dans mon thème : de l’organza gratté pour obtenir un relief, des tissus brûlés, coupés au cutter, déchirés, des bandes gazes abîmées et assemblées ensembles à l’aide de surfilage visible.

Ces matières s’accompagnent de l’utilisation de « crin tubulaire », pour son côté tuyau symbolisant l’homme-machine, pour sa souplesse et les nombreuses façons de le travailler qu’il offre.

Les couleurs s’opposent, la collection est principalement blanche, couleur à double tranchant qui reflète la perfection mais peut vite exprimer un malaise (couleur des hôpitaux). Le blanc est contrasté par du noir, son opposé, pour donner de l’impact. Le tout est tranché de touches bleues et taupes, teintes des travaux de Giger rappelant la biomécanique, mais aussi couleurs des hématomes.

Enfin, des éléments gris métalliques sont présents : tirettes, œillets, pressions… Toujours en rappel au côté « machine ».

Matières et couleurs se mêlent pour laisser une impression de froid, une impression d’acier… Une impression de force.

Au final, la collection présente sept silhouettes pour femme, une femme qui n’a pas peur de s’assumer, de montrer qu’elle est là, perchée sur des hauts talons pour allonger sa silhouette, portant des vêtements qui par endroit marquent les hanches, la poitrine, féminine à sa façon, forte.

Un mot qui résumerait parfaitement le fil conducteur de cette collection serait celui de « Biomécasochisme », mot-valise représentant la dualité de mon thème :

  • « Biomécanique », l’univers de Giger, l’homme en quête de surpassement, cherchant à devenir parfait ;
  • « Masochisme», à l’image du catch hardcore, l’homme à la recherche de douleur, de sensations.

Bien sûr, j’ai parlé des formes, des matières, des détails, mais tout comme la douleur, la réalisation d’une collection n’est pas uniquement physique, elle s’accompagne de la psychologie et de réflexions, d’un but.

C’est un peu comme un match de catch, il y a l’envie de pouvoir faire réagir le public par les silhouettes. Peu importe que ce dernier apprécie ou, au contraire, déteste ; l’important, c’est que la collection puisse provoquer un effet, que le public ressente quelque chose, même si il s’agit d’un malaise.

C’est donc là que se trouve le but final de la collection, le défi : créer une ambiance différente, et parvenir à faire réagir émotionnellement, mais aussi à grandir soi-même par le travail accompli. C’est toujours l’idée de « surpassement de soi » qui revient.

Shooting par Jehanne Moll

Photographie : Jehanne Moll
Modèle :  LadyMary & Yael Belledecandeur

 

Ma collection avait été sélectionnée par le WCC-BF Mons pour leur exposition « TREMPLIN 2011 ».

Les accessoires

© 2022 Laura Descamps | Graphiste, Illustratrice, Styliste, Photographe basée à Thionville (Moselle – France 57)
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